Les Forums Star Wars Universe • Le Jedi et la Sorcière : T2 [en cours] (2023)

CHAPITRE 13 : La lettre


* * *

Il n’avait pas le droit. Bail n’avait pas le droit de lui dire ça, pas après avoir prétendu ne pas se mêler de ce qui ne le regardait pas. Il avait sans doute les meilleures intentions de la galaxie en tête, mais ce n’était pas ses affaires. Quoi qu’il y ait effectivement entre Obi-Wan et elle, c’était à elle et à elle seule de décider quand elle était prête à affronter ses sentiments ou d’agir en conséquence. La dernière fois qu’elle avait d’ailleurs écouté son idiot de cœur, le résultat avait été catastrophique : un baiser désastreux, un sort impardonnable et une lettre larmoyante qu’elle n’avait pu ni se résoudre à jeter ni à relire.

Les mots qu’elle avait couchés sur le papier entre deux sanglots dormaient toujours dans la poche de sa veste kaki, quelque part au fond de son sac. Le vêtement avait souffert du crash de leur vaisseau sur Corellia et elle ne l’avait depuis plus touché, comme terrifiée qu’il ne la brûle là où la lettre était cachée. Il faudrait qu’elle se décide, à un moment ou un autre, à se débarrasser de ce qu’elle avait réalisé ce jour-là ou à l’affronter, une bonne fois pour toutes. Qu’elle admette que ce qu’elle avait écrit à Ben, avant de se raviser et d’emporter la lettre, était sans doute vrai. Que ce qu’elle avait écrit n’était pas simplement le fruit de la certitude qu’elle allait mourir et emporter les inquisiteurs avec elle. Elle pensait tout ce qu’elle avait noté. Les envolées lyriques, comme le tourbillon confus de mots se pressant sous ses doigts. Le torrent d’émotions et d’évidences qu’elle n’avait jusque-là plus eu le courage de regarder en face.

Jusqu’à ce soir. Jusqu’aux paroles de Bail Organa. Fichue fête, satané vin et foutues bonnes intentions du sénateur. Elle ne demandait rien de plus que de retrouver sa tante, en finir avec elle et enfin payer sa dette auprès d’Obi-Wan. Elle pourrait alors le regarder partir, le cœur lourd, mais certaine d’avoir fait le bon choix. Au lieu de cela, ils jouaient tous les deux au chat-loth et au rat womp, incapables de décider s’il convenait mieux de flirter comme des adolescents idiots ou de s’ignorer comme des adultes raisonnables. Bien sûr qu’elle avait conscience du spectacle qu’ils devaient offrir. Ce n’était pas étonnant que Bail ait fini par lui en toucher un mot. Elle avait pourtant essayé de grappiller des miettes d’affection et de se convaincre qu’elle pouvait s’en contenter. Mais elle avait besoin de plus. Alors elle cédait aux piques d’Obi-Wan ou le taquinait à son tour, puis se rappelait enfin que ce terrain était glissant et prenait temporairement ses distances. Le schéma ne cessait de se répéter, inlassablement. Cela venait de recommencer pas plus tard que ce soir.

Et voilà qu’elle se retrouvait, un soir de fête, le souffle court, les mains tremblantes et la poitrine comprimée sous un bantha invisible, cachée derrière un buisson. Les jardins du palais royal étaient encore plus beaux de nuit, mais une partie d’elle-même se refusait à profiter de la mélodie de la fontaine voisine ou de la brise nocturne. Il fallait qu’elle prenne une décision. Ce soir. Elle se perdit dans l’examen des tiges tortueuses d’une plante grimpante, dont les fleurs blanches brillaient d’une robe bleutée. Elle avait déjà remarqué cette plante lors de ses promenades : anodines de jour, les fleurs-cierges ne révélaient leur vraie nature et leur éclat fantomatique qu’une fois la nuit tombée.Comme moi, elles ne s’épanouissent que dans l’obscurité.

Elle savait ce qu’il lui restait à faire.

* * *

Il la chercha de partout. Dans chaque groupe de danseurs puis chaque alcôve secrète jadis réservée aux espions, où il ne fit que surprendre des couples plus ou moins vêtus, trop absorbés dans leur étreinte pour lui prêter attention. Sur les conseils de Bail, qui l’avait vue filer dehors, il inspecta les jardins minutieusement, mais encore une fois sans succès. Il hésita un instant à sonder la Force, à la recherche de son aura unique, violette et lumineuse, puis se ravisa. Cela ne valait pas la peine de risquer d’être découvert. Il la reverrait certainement dans la soirée. Ou au plus tard le lendemain, si elle choisissait de passer la nuit en meilleure compagnie. De toute façon, Obi-Wan doutait de sa propre capacité à masquer son usage de la Force après les quelques — et peut-être trop nombreux — verres qu’il s’était autorisés.

Il s’accouda au dernier balcon qu’il venait de fouiller à la recherche de la sorcière, comptant sur l’air frais pour l’aider à reprendre pied. Son incapacité à trouver Yaraa n’avait fait qu’accentuer ce besoin impérieux : il fallait qu’il la voie. Après des jours à lui laisser l’espace dont elle semblait avoir besoin, il avait réalisé ce soir à quel point il lui était douloureux de la sentir aussi lointaine, alors qu’ils partageaient pourtant le même appartement. Son rire lui avait manqué. Sa façon de froncer les sourcils et d’anticiper la fin de ses phrases, comme s’il s’apprêtait à lui faire un reproche dès qu’il ouvrait la bouche, lui avait manqué. L’éclat de malice dans ses yeux quand elle se moquait gentiment de lui également.

Depuis sa conversation avec Bail, autour de son imposant bureau en bois et de son whisky corellien, un verrou avait sauté en lui. Il essayait encore de ne pas s’emballer, de ne rien imaginer d’affreusement romantique et de lyrique, bref de ne pas retomber dans ses vieux schémas mais… il ne parvenait plus à étouffer ses sentiments. Il n’en avait à vrai dire plus la force ni l’envie. Il savait qu’il était amoureux d’elle, depuis ce soir-là. Depuis bien avant même. Il avait réalisé que l’euphorie douloureuse qui s’emparait de lui en sa présence n’était pas si terrible, au final, comparée aux efforts constants qu’il devait fournir pour nier ce que son corps et son âme lui criaient. Pour une fois, il avait agi sans réfléchir. Après sa performance ridicule avec la famille du marié, il pensait lui proposer un verre, puis danser avec elle et aviser ensuite. Attendre de voir ce que la nuit lui réservait, comme le lui aurait sans doute conseillé Qui-Gon.

Mais Yaraa demeurait introuvable. Convaincu qu’il avait laissé filer sa chance, Obi-Wan se détacha à regret de la balustrade en pierre et du spectacle qu’offraient les étoiles dansantes à la surface du lac. Il se concentra sur sa respiration, jusqu’à trouver un rythme régulier. Puis il imagina le pire, un exercice qui l’aidait depuis l’enfance à se calmer. Elle avait pu quitter le banquet pour plusieurs raisons, à commencer par une migraine foudroyante. Si c’était le cas, elle serait retournée dans la chambre, où l’attendaient les médicaments prescrits par le droïde médical. Option numéro deux : elle avait trouvé quelqu’un avec qui se livrer aux mêmes activités que les couples peu discrets des alcôves. Possiblement la zeltronne avec qui elle avait discuté lors du cocktail. Ou l’un des odieux cousins, grandes gueule et bravaches, mais typiquement dotés des charmes qu’on pouvait rechercher chez un homme. Ce n’était pas l’hypothèse que le Jedi souhaitait privilégier — elle lui tordait d’ailleurs le ventre de la plus désagréable des façons — mais si c’était bien cela, autant rentrer dormir plutôt que de se torturer l’esprit. Enfin, peut-être que Yaraa avait juste besoin d’être seule et arpentait les alentours du palais. S’il ne l’avait pas trouvée, c’est qu’elle ne le souhaitait pas. Elle rentrerait se coucher quand elle serait prête.

Il n’y avait donc qu’une stratégie chose rationnelle à mettre en œuvre : rentrer et essayer de dormir.

* * *

Obi-Wan se retourna une énième fois dans son lit, enfin son canapé, incapable de trouver le sommeil et de chasser les images de cette fichue option numéro deux. Voilà ce qui arrivait quand on se pensait plus fort que ses propres émotions et qu’on recherchait du réconfort dans la logique. Dès qu’il fermait les yeux, il imaginait Yaraa enlacée avec un homme plus grand et mieux bâti que lui, ou la zeltronne et ses charmes avec lesquels ils pouvaient encore moins rivaliser. Puis il les visualisait tous les deux avec la sorcière, entremêlés dans des draps rouges, leur bouche explorant chaque partie du corps de Yaraa, qui le regardait droit dans les yeux, un sourire béat aux lèvres. Comme pour lui dire qu’il ne pourrait jamais autant la combler, lui.

N'y tenant plus, Obi-Wan chassa ses couvertures d’un mouvement sec et se dirigea dans la salle de bain. Il s’aspergea le visage d’eau glacée. Une fois. Puis deux. Puis trois. Après avoir repris contenance, il laissa ses yeux s’habituer à la pénombre et remarqua que la porte qui menait à la chambre de Yaraa était entrouverte.Bon sang, je suis vraiment idiot. Elle est sans doute rentrée avant moi. J’avais raison, ce n’était qu’une migraine. Elle est venue directement ici après que la crise se soit manifestée. Elle a fait redescendre la pression sous l’eau froide, comme je viens de le faire, puis elle s’est endormie. Mais je suis trop bête pour penser à vérifier si elle n’est pas déjà dans sa chambre et résultat, j’angoisse depuis une heure pour rien. Bravo, Obi-Wan.

Le Jedi laissa échapper un petit rire de soulagement et entrouvrit la porte. Il allait simplement jeter un coup d’œil, vérifier qu’elle dormait paisiblement et que les pilules anti-douleur avaient fait effet. Ensuite, il retournerait se coucher ou entamerait une séance de méditation. Il fallait juste qu’il s’assure de la bonne santé de Yaraa.

À travers les rideaux encore ouverts, les étoilent baignaient la pièce d’une pâle lumière. Des robes plus imposantes que celle sur laquelle la jeune femme avait jeté son dévolu trônaient devant la coiffeuse, abandonnées sur un fauteuil. Le sac de voyage de Yaraa était toujours à sa place, près de la baie vitrée. Mais aucune trace de la sorcière. Le lit était vide. Obi-Wan se laissa tomber sur le matelas, tandis que son cœur plongeait dans ses talons. Elle n’était pas là. Il lui restait toujours la solution de sonder la Force et de s’assurer qu’elle soit bien en sécurité. Que rien ne lui était arrivé. À moins qu’il ne souhaite tout simplement, au fond, vérifier si elle n’était pas effectivement allongée entre un cousin du marié et une parlementaire zeltronne.

Pour la première fois depuis des semaines, depuis leur départ de Tatooine, Obi-Wan s’adressa à voix haute à son maître. Il n’avait pas eu le loisir de chercher à communiquer avec lui, et avait à vrai dire, cessé de poursuivre ses efforts après l’apparition de Qui-Gon dans le désert. De son propre aveu, son maître ne le pensait pas encore digne ou capable d’entrer en communication avec lui ni de recevoir ses enseignements. D’autre part, il était impensable de demander à Yaraa d’ouvrir un canal de communication vers lui. Pas quand elle souffrait déjà de sa mémoire fracturée. Mais qu’importe, pour ce soir. Tant pis s’il était ridicule et parlait dans le vide. Il avait besoin ne serait-ce que de l’illusion de ne pas être seul face à ses doutes. Face aux émotions torrentielles qu’il ne parvenait plus à contenir.

— Qui-Gon ? Je ne sais pas si vous m’entendez. De toute façon, vous ne pouvez pas me répondre. Vous m’avez toujours conseillé de m’écouter et de chercher mon propre chemin, si ceux déjà tracés ne me convenaient pas. Il aura fallu attendre que l’Ordre disparaisse et que tous ceux qui me sont chers périssent pour que je comprenne vraiment le sens de vos paroles. Vous me connaissez, bon élève jusqu’au bout, même une fois que plus personne n’est là pour me juger…

Obi-Wan soupira et détacha son regard du plafond. Pourquoi est-ce qu’il fallait qu’il imagine Qui-Gon flottant au-dessus de lui ? C’était ridicule. Comme cette discussion à sens unique. Mais il s’était promis d’essayer. Pour tout avouer, il se sentait déjà un peu mieux, rien qu’en confiant ce qu’il avait sur le cœur au lustre éteint.

— Vous m’avez dit que Yaraa était la clef. Je ne sais pas si vous sous-entendiez que j’avais besoin d’elle pour basculer. Que l’attirance que je ressens pour elle me donnerait le courage nécessaire pour envisager autre chose. Une autre façon de vivre. En tout cas, vous aviez raison, comme d’habitude. J’ai essayé de lutter. J’ai échoué. Mais surtout, je ne suis plus sûr d’en avoir envie. De me battre contre moi-même. J’ai peur, bien sûr, mais… Je crains moins de risquer ma raison que de passer à côté de ce que je pourrais vivre avec elle. Est-ce que ça a du sens, Qui-Gon ?

Pour toute réponse, une fenêtre qu’Obi-Wan ne se souvenait pas avoir ouverte claqua contre le mur et une bourrasque vint balayer les draps défaits. Le Jedi se releva pour fermer la fenêtre et jura en réalisant que le vent avait renversé le sac de voyage de Yaraa au sol. Il entreprit de rassembler ses vêtements et ses instruments de magie, sans s’attarder sur chaque élément. Il se sentait déjà assez comme un pervers de la pire espèce, à errer dans sa chambre en son absence. Il se saisit enfin de l’épaisse veste kaki de la jeune femme, celle qu’elle portait tout le temps avant que la manche ne se déchire lors de leur périple vers Alderaan.

Obi Wan… souffla une voix, qu’il aurait juré être celle de Qui-Gon.

Par les Étoiles, il était vraiment temps qu’il dorme. L’angoisse et l’alcool lui jouaient des tours. Alors qu’il fourrait la veste dans le bagage, une masse compacte attira son attention dans l’une des poches intérieures de la veste. Obi-Wan palpa le vêtement et en extirpa un morceau de papier. Enfin, plusieurs feuilles pliées en huit et recouvertes d’une écriture étroite. Le Jedi savait qu’il devrait ranger sa découverte tout de suite et l’oublier, puis retourner à son insomnie. Mais Yaraa n’était pas là. Elle le laissait se faire un sang d’encre, sans lui donner la moindre nouvelle. Ce n'était pas une bonne raison pour fureter dans ses affaires, certes, mais il avait besoin de quelque chose, n’importe quoi, qui le relierait à elle. Il n’aurait su expliquer ou décrire ce qui le poussa à déplier le papier. Une sensation étrange lui picotait la langue. Il fallait qu’il sache.

* * *

Obi-Wan. Je suis désolée pour tout. Je suis désolée d’avoir fracassé votre quotidien et votre motojet. Je suis désolée de vous avoir mis en danger. Je suis désolée de vous avoir fait tourner en bourrique. Ou peut-être justement que je suis désolée d’avoir pris autant de plaisir à le faire, à vous provoquer, vous faire froncer les sourcils et hausser les yeux au ciel. Je suis désolée de ne pas avoir d’autres excuses que celle-ci ; cela vous va beaucoup trop bien.

Je suis désolée de vous quitter de cette façon, sans nous laisser le temps de mieux nous connaître. Je suis désolée de mentir, une énième fois. Je sais bien que c’est faux. Personne ne m’a jamais regardée comme vous le faites. J’en ai la certitude ; même avant, même dans le brouillard de mes souvenirs fracturés, rien ne brille aussi fort que le feu que vous éveillez en moi. J’aurais aimé m’en rendre compte plus tôt. J’aurais aimé effacer les jours passés loin de vous, les échanger contre votre sourire, votre ironie mordante, votre tendresse irrésistible. J’aurais aimé me perdre dans une passion déraisonnable, dont l’évidence ne m’a que trop longtemps échappé. Il n’y a que vous, partout, sur cette fichue planète. Il n’y a toujours eu que vous.

Vous m’en voulez, évidemment. Vous avez raison.

Mais à quoi bon ? À quoi bon nous autoriser une nuit, puis vous regarder filer à votre perte, risquer votre vie contre une menace dont je suis responsable ? Je sais que cette décision de m’appartient pas, mais je la prends quand même. Je préfère que vous me détestiez plutôt que vous savoir troquer votre vie, si précieuse, pour la mienne. Vous avez tellement à donner, Obi-Wan. Tellement à apporter, à toutes celles et ceux qui croiseront votre route. Je suis désolée de ne pouvoir être celle qui vous accompagnera sur les voies de la guérison (et je ne parle pas de votre épaule). Mais vous guérirez. Je vous le promets. Aucune des épreuves que vous avez traversées n’a eu raison de votre lumière. De votre bonté. De votre indécrottable altruisme. Un jour, vous trouverez quelqu’un de digne de vous.

Je suis désolée de ne pas être cette personne. Vous me voyez comme bien meilleure que je ne le suis. Si vous saviez comme votre regard me brûle. J’aimerais être celle que vous percevez, me fondre dans les contours impossibles de votre amour. J’aimerais tellement effacer le reste. Faire disparaître l’Empire, le désert, la galaxie. Ne nous garder que nous, quelque part à l’abri de tout le reste. À l’abri de nous-mêmes et de ce que nous finirons par nous faire l’un à l’autre. Je ne suis pas celle que vous croyez, Obi-Wan. Je suis égoïste, vide. Je suis faite pour la destruction. Je ne veux pas vous détruire. Je préfère que vous me haïssiez plutôt que de vous faire du mal. Je ne peux pas vous laisser renier vos vœux, vos croyances, votre socle. Pas pour moi.

Vous lirez cette lettre à votre réveil, et vous penserez que j’ai tort. Peut-être que vous ne retiendrez que les passages où je vous avoue à demi-mot mes sentiments. Peut-être qu’il faudrait que je le dise, une bonne fois pour toutes, pour que vous acceptiez ma décision ; je vous aime, Obi-Wan. Je vous aime avec une tristesse infinie et un espoir débordant. Je vous aime comme une comète prête à percuter une planète et la réduire en cendre. Je vous aime plus que je ne le devrais, plus qu’il n’est acceptable de l’avouer.

Je vous aime et c’est pour cela que je vous ai trahi. C’est pour ça que vous émergez à l’heure actuelle d’un sommeil magique et que je vais seule à la rencontre des impériaux. Vous vous réveillez dans une réalité où je ne suis plus. J’ai trouvé un sort, dans les dernières pages de mon grimoire. Il me permettra de mettre fin à la menace qui pèse sur Tatooine, sur vous et votre mission. Mais ce sort à un prix. Il me tuera. C’est ma décision. Vous m’avez permis d’entrapercevoir ce que la vie aurait pu être, et rien que pour cela, je vous remercie. Vous m’avez permis d’espérer.

Je sais que mon existence à un sens, maintenant, puisqu’elle vous permettra de vivre.

Je vais à la rencontre de la mort, un sourire aux lèvres, le goût des vôtres encore présent sur ma langue.

Adieu, Obi-Wan.

* * *

Obi-Wan resta figé, les yeux perdus dans le vide. Il comprenait le sens de chaque phrase, chaque mot, mais peinait à en saisir la signification générale. Le voile en duracier autour de son crâne refusait de desserrer son emprise. Alors il relut la lettre, une seconde fois. Ce n’était pas réel. Il rêvait, il allait se réveiller sur le canapé du salon, toujours aussi seul et inquiet. En attendant d’être arraché à ce songe étrange, peut-être valait-il mieux parcourir de nouveau la lettre. Juste une dernière fois. Au cas où. Yaraa disait chérir sa vie à lui, plus que la sienne. Elle disait l’aimer.

Sa tête tournait, bourdonnait comme prise au piège d’une nuée d’insectes ou d’un canal de communication défectueux. Il n’arrivait pas à y croire. Elle avouait lui avoir jeté un sort pour affronter seule les inquisiteurs, mais ça, il le savait déjà. Il y avait autre chose, dans les dernières phrases, là où l’écriture de la sorcière était de plus en plus difficile à déchiffrer. Obi-Wan parcourut frénétiquement les lignes, jusqu’à tomber sur ce qu’il cherchait : « Je vais à la rencontre de la mort, un sourire aux lèvres, le goût des vôtres encore présent sur ma langue. »

Ça n’avait aucun sens. Ils ne s’étaient jamais embrassés. Les Étoiles seules savaient qu’il en avait eu envie, notamment quand elle l’avait soigné. Avant qu’elle ne l’endorme contre son gré et qu’il ne puisse glisser sa main dans ses cheveux, l’attirer encore un peu plus contre lui. Il se souvenait de son visage à quelques centimètres du sien, de la proximité soudaine entre eux… Mais rien ne s’était passé. Pourtant, il visualisait la scène avec une facilité déconcertante. Il brûlait du même désir qui l’avait submergé quand elle lui avait grimpé dessus. Il sentait son souffle sur son visage. Il voyait l’interrogation muette dans ses yeux. Il entendait le verset du code Jedi qu’elle lui avait cité, comme une excuse.Il n’y a pas de passion, il y a la sérénité. Il l’avait traitée d’idiote. Il l’avait embrassée.

Quelque chose roula sur sa barbe et le ramena brusquement dans le présent : une goutte de sang s’écrasa sur la lettre, venant dissoudre une partie du dernier paragraphe. Obi-Wan porta une main à ses lèvres, et la leva devant lui, humide et légèrement tachée de rouge.
La voix de Yaraa lui revint, transperçant les couches de brumes mauves qui obscurcissaient son esprit. Oubliez que nous nous sommes embrassés. Je vous ai soigné. C’est tout.Puis elle lui avait jeté un sort.

* * *

Sa décision était prise. Elle allait enfin déterrer cette fichue lettre et la brûler, une bonne fois pour toutes. Il n’y avait aucune raison de la garder. Elle en connaissait parfaitement le contenu. Elle ne l’avait d’ailleurs jamais ressortie de la poche de sa veste. Elle avait porté les feuilles de papier contre elle comme une promesse, celle de garder ses sentiments pour elle. Leur séjour sur Alderaan l’avait prouvé : elle en était incapable. Non seulement, Bail Organa l’avait percée à jour comme une gamine voleuse, la main dans le pot à biscuits. Pire encore, elle hésitait un jour sur deux à tout avouer au Jedi. À lui révéler ce qu’il s’était passé sur Tatooine et qu’elle l’avait contraint à oublier.

Une petite voix pernicieuse lui susurrait souvent à l’oreille qu’elle n’avait aucune raison de s’en priver. S’il la rejetait, leur amitié prendrait un coup, mais s’en remettrait. Yaraa, quant à elle, n’était pas certaine d’y survivre. La déception qui envahirait les yeux de Ben la ferait suffoquer. Elle refusait de voir la mer tranquille de son regard se changer en glace quand il apprendrait ce qu’elle lui avait fait. Ce qu’elle lui avait volé. Elle était bien placée pour savoir les dégâts qu’une mémoire morcelée pouvait causer. Yaraa se racontait parfois que le mieux qu’il puisse leur arriver serait de perdre le contrôle ne serait-ce qu’une heure ou deux, histoire de régler toute cette tension ridicule et de passer à autre chose. Mais elle ne pouvait pas faire ça à Obi-Wan. Elle passerait le reste de sa vie à se détester si elle lui enlevait son honneur, cette notion stupide et obsolète à laquelle il s’accrochait avec tant d’énergie. Parce que c’était justement ce qu’il était : quelqu’un d’honorable. Contrairement à elle.

Yaraa rebroussa chemin, non sans admirer une dernière fois le lac et le reflet des étoiles. Il était temps d’enfin agir comme celle qu’elle espérait un jour devenir : une femme au moins à moitié aussi honorable que lui.

* * *

Elle entra sans frapper, soucieuse de ne pas réveiller le Jedi. Seul le silence l’accueillit. La respiration régulière d’Obi-Wan ne lui parvenait pas du canapé. Étrange. Ses bottes, rangées près de la table basse, et les couvertures, jetées sur un accoudoir, prouvaient qu’il était pourtant bien rentré. Yaraa ignora le soulagement fugace qui la parcourut quand elle écarta l’hypothèse qu’il soit encore en train de profiter de la fête ou pire, que l’alcool lui ait fait complètement oublier son serment.

J’ai encore du chemin à faire sur la voie de la vertu, si je l’imagine coucher avec quelqu’un d’autre dès que je ne sais pas où il est. Mais bon. Brûler la lettre, première étape. On verra ensuite ce que je peux faire pour arrêter de ne penser qu’à cet idiot. Retrouver la jolie zeltronne demain, ou peut-être l’un des cousins. Stupides, mais bien foutus. Si Ben l’apprend, ce sera encore mieux. J’accepterai qu’il soit froid avec moi, on se concentrera sur la traque de tante Esther et on élaborera un plan. Mais c’est fini. Plus de bêtises, ma grande. Déjà, interdit de te caresser en pensant à lui qui dort de l’autre côté du mur. Tu es ridicule. Pathétique, même.

La porte séparant le salon et la chambre s’ouvrit à la volée.

La silhouette d’Obi-Wan se détachait de l’obscurité, baignée par la lumière des étoiles. Il se tenait droit, les poings serrés et une tension palpable dans les épaules.

— Ben ? Je peux savoir ce que tu fichais dans ma chambre ? s’étonna la sorcière.

Elle s’approcha de lui, prête à lui arracher les mots s’il le fallait. Personne, surtout pas lui, n’avait le droit de violer son intimité. C’était sa pièce. Ses affaires. Son espace.

— Qu’est-ce que tu as dans la main ? s’alarma-t-elle, remarquant que ses doigts étaient refermés autour de quelque chose.
Elle attrapa la main du Jedi, qui ne lui offrit aucune résistance. Obi-Wan fixait les morceaux de papiers froissés au creux de son poing d’un air absent. Elle allait le gifler. D’une minute à l’autre. S’il pensait avoir le droit de fouiner dans ses affaires et d’arracher des pages de son grimoire, il se trompait. Il y avait des limites à ne pas dépasser et… Oh. Un mot attira son attention, parmi les gribouillis qu’elle comprit être de sa main. Ce n’était pas une page de son grimoire. C’était bien pire que cela.

— Où… où est-ce que tu as trouvé ça ? l’interrogea Yaraa d’une voix blanche.

Obi-Wan se décida enfin à lui accorder un regard. Elle aurait préféré qu’il s’abstienne, finalement. Le bleu de ses iris n’était ni celui d’une étendue gelée ni d’une mer d’orage. Elle ne s’attendait pas à y retrouver sa malice et sa chaleur habituelle, mais ça, c’était pire que tout. Ses yeux étaient hantés d’une urgence et d’une détresse insupportables.

— Je… J’étais justement rentrée pour la brûler, se justifia-t-elle piteusement.

Comme s’il allait me croire, maintenant.

— Tu… est-ce que tu l’as lue ? souffla-t-elle en détournant les yeux. Obi-Wan, je suis désolée, ce n’est que…

— Est-ce que c’est vrai ? la coupa le Jedi.

Elle se força de nouveau à affronter son regard, où un feu nouveau brûlait. De la colère.
Parfait. Ça, au moins, je sais gérer.

— Le sort ? articula-t-il avec difficulté.

— Tu savais déjà, pour le sort. Je m’en suis excusée. Je peux le refaire, autant de fois que nécessaire, mais… commença Yaraa, priant pour qu’elle ait interrompu sa lecture à mi-parcours.

— Mais tu ne m’as pas seulement endormi. Tu m’as aussi pris quelque chose.

Détruire.

— Oui, admit-elle enfin.

— Pourquoi ?

Sa voix était lointaine, détachée. C’était donc à ça qu’il ressemblait, quand il s’énervait enfin. À une version encore plus droite et fière de lui-même.

— Parce que, à quoi bon ? On s’est laissé porter par le moment. On pensait tous les deux mourir dans peu de temps. Ça ne voulait rien dire. Je… je ne voulais pas que tu penses avoir brisé tes vœux pour moi. Pour un simple baiser.

— C’était ça, pour toi ? Un simple baiser ? gronda le Jedi.

Il s’approcha d’elle à une vitesse déconcertante, lui laissant à peine le temps de reculer. Elle manqua de percuter la grande table de la pièce à vivre.

— Alors… tu t’en souviens ? murmura-t-elle, aussi soulagée que paniquée.

— Tu ne m’as pas répondu.

— Oui, mentit-elle. Ce n’était que ça.

— Et le reste, alors ? Tout ce que tu as écrit ensuite ?

Yaraa resta muette. Il avait tout lu. Pour la première fois depuis son premier réveil sur Tatooine, elle n’avait aucune idée de comment se sortir de cette situation. Aucun brillant mensonge ne lui venait. Aucune pirouette de dernière minute. Aucun sort miracle. Seulement elle, le poids de ses actes et un Jedi passablement remonté.

Obi-Wan l’observait avec une intensité nouvelle. Il s’avança encore un peu plus et posa ses mains sur la table, de chaque côté de la sorcière. Yaraa se figea et leva les yeux vers lui. Il la surplombait et sans pour autant la toucher, il venait de lui barrer toute échappatoire. Elle n’avait pas d’autre choix que de noter le sourire espiègle peint sur ses lèvres et la flamme dévorant ses pupilles.

— Des mensonges, souffla-t-elle. Ce n’était que des mensonges. Pour te rendre ta transgression du code plus supportable.

— Si ça ne veut rien dire, pourquoi ne pas recommencer ? demanda-t-il.

Il se pencha encore un peu plus vers elle, amenant ses lèvres près de son oreille. Il frôla en chuchotant :

— Donne-moi une bonne raison de ne pas reprendre ce que tu m’as volé.

Elle n’avait toujours aucun argument brillant à lui opposer. Tout lui semblait cotonneux, comme si quelqu’un avait à la fois séparé son âme de son corps et augmenté chacun de ses sens. Son cœur battait furieusement un peu partout, sauf dans sa poitrine. Le souffle d’Obi-Wan chatouillait son oreille, mais sa voix semblait lui parvenir d’une autre planète. Elle avait soudain froid, tandis que tout le reste de son être brûlait. Elle ne sentait plus rien, à part chacune de ses cellules sur le point d’imploser.

Le visage du Jedi revint de nouveau dans son champ de vision, toujours habité de ce même sourire, mais avec mais une assurance plus surjouée qu’un instant auparavant. Il semblait presque inquiet.

— Yaraa, tout va bien ? l’interrogea-t-il avec plus de douceur. Je… je ne voulais pas te faire peur, si c’est le cas je…
Idiot.

Sans réfléchir, elle l’attira contre elle et l’embrassa.

* * *

Note de l'autrice:
Pour respecter la charte d'utilisation du forum, j'ai dû couper la fin du chapitre, qui présente un rapport sexuel explicite.
Si vous avez envie de la lire, vous pouvez la retrouver à ce lien :
https://www.wattpad.com/1328134586-le-jedi-et-la-sorcière-obi-wan-x-oc-chapitre-13-la/page/8
Ne vous l'imposez pas si vous ne souhaitez pas lire ce genre de scène. Le but n'est pas de choquer., au contraire.
Ne pas la lire n'enlèvera rien à la compréhension générale de l'histoire.

Bonjour bonjour ! ♥

Désolée de ce petit retard de publication, j'espère que la longueur du chapitre et son contenu aideront à me faire pardonnerLes Forums Star Wars Universe • Le Jedi et la Sorcière : T2 [en cours] (1)
J'espère que ma façon de présenter une scène explicite vous convient et permet de ménager les sensibilités de chacun. Si jamais présenter une telle scène, même sous bannière spoiler, est en contradiction avec la charte d'utilisation du forum, je peux aussi couper la scène et mettre un lien pour la lire sur wattpad où je publie aussi cette fan fic !

Alors... ce chapitre ?Les Forums Star Wars Universe • Le Jedi et la Sorcière : T2 [en cours] (2)

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Author: Fredrick Kertzmann

Last Updated: 01/12/2023

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Job: Regional Design Producer

Hobby: Nordic skating, Lacemaking, Mountain biking, Rowing, Gardening, Water sports, role-playing games

Introduction: My name is Fredrick Kertzmann, I am a gleaming, encouraging, inexpensive, thankful, tender, quaint, precious person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.